LE CONCEPT DE PRECONSTRUIT EN LINGUISTIQUE ENONCIATIVE
LE CONCEPT DE PRECONSTRUIT EN LINGUISTIQUE ENONCIATIVE
Le concept de préconstruit fait l’objet de plusieurs acceptions en linguistique de l’énonciation, de sorte que Marie-Anne Paveau parle à son sujet de notion « éminemment plastique » (Paveau, 2017). Alors qu’elle dresse un état des lieux de différentes destinées de ce terme introduit en linguistique du discours dans les années 1970, elle souligne ce qu’elle considère comme un de ses traits spécifiques, celui d’être une construction qui est à la fois
« geste d’interprétation » et « procédure de reconnaissance » mobilisant des ressources culturelles et cognitives.
Tel qu’il est utilisé dans la TO(P)E, le concept de « préconstruit » est souvent distingué de celui de présupposé. C’est d’ailleurs cette distinction qui est le point de départ de la discussion sur ce concept, dans le séminaire de 1975-76 d’Antoine Culioli. Le préconstruit, dit- il, c’est du texte, et du métatexte (Culioli, 1975-76, séance 5), c’est-à-dire, une forme linguistique renvoyant à une suite d’opérations et sa forme opératoire doit permettre de sortir du présupposé, dont l’usage donnent selon les auteurs lieu à des variations, allant du domaine de la philosophie du langage (Russel, Frege et Strawson) à celui de la pragmatique (Fillmore, Stalnaker, entre autres) et notamment à la pragmatique intégrée (Ducrot, Anscombre) (voir notamment Ducrot 1969, Zuber 1975, ou plus récemment Kleiber 2012, Deloor 2012).
Pour autant, si le préconstruit, dans le sens culiolien du terme, est une métaforme, il se distingue d’une forme sous-jacente en premier lieu parce que le préconstruit renvoie à de l’attestable reconstruit à partir d’un attesté (Fisher 1983 : 168, cité par La Mantia 2020 :167) et en second lieu parce qu’il renvoie à une opération antérieure (implicite ou explicite) et non à une représentation abstraite de la forme en cours. Il s’en distingue aussi dans la mesure où son statut de texte (dans le sens d’une suite d’opérations) et de métatexte, fait que le préconstruit entre dans des familles paraphrastiques qui permettent d’ajuster le sens en discours, mais dont le caractère formel et métalinguistique le distingue également des gloses inférentielles de la logique naturelle en philosophie du langage. Ainsi l’énoncé Jean sait lire l’anglais, en réponse à la question Qui sait lire l’anglais ? renvoie à des préconstruits qui sont au minimum il y a Jean au moins ou il y a Jean seulement (Séminaire de 1975-76, séance 8, p. 102). Il s’agit, précise Culioli, de proposer des formes qui permettent « de faire ressortir rigoureusement la façon dont l'énoncé est formé et voir comment on peut le représenter de telle sorte qu'on puisse lui assigner telle ou telle valeur » (idem). La sélection du préconstruit s’intègrerait dans l’activité langagière (épilinguistique) des sujets qui précède l’énoncé en cours et il faudrait à ce titre chercher à déterminer quels sont les critères engagés dans ces choix non conscients (prosodiques, contextuels, situationnels etc., cf. Wyld 2014).
Cependant, si la forme à donner au préconstruit doit être réutilisable (Culioli 75-76, séance 5) et doit résulter d’un calcul (Culioli 75-76, séance 9, p.114), son mode de génération reste à définir. On le trouve associé à une opération de type anaphorique (pour rendre compte du fonctionnement de l’imparfait du français ou de la forme BE-ING en anglais par exemple) ou encore à un « effet de mise en relation avec un préconstruit » toujours pour l’imparfait (Chuquet 2000 : 69) sans qu’il soit toujours possible de distinguer forme préconstruite et opération dont elle est la trace. Et on pourrait alors parler d’un certain vague du préconstruit.
Cette absence de définition stable a été soulignée dans certains travaux effectués dans le cadre de la TO(P)E qui ont cherché à proposer des approches en termes d’opération de validation de la relation prédicative par rapport à un repère décroché, relation qui se trouve alors pré-assertée ou encore non assertée dans l’énonciation en cours (Bouscaren et Chuquet, 1987). Cette approche a été particulièrement productive dans l’étude des formes de nominalisation déverbales, des formes aspectuelles du verbe (BE-ING, HAVE-EN, imparfait), des relatives, des complétives en THAT dans le discours indirect ou dans les énoncés à thématisation marquée (extraposition, clivage, etc.) ainsi que dans la subordination en générale (cause, condition, but, concession, etc.), qui renvoient à des repères que l’on dit préconstruits.
Nous proposons à travers cet événement scientifique de poursuivre l’exploration de ce concept en invitant à soumettre des propositions de communications qui questionnent les fondements théoriques de sa définition, les distinctions entre glose, paraphrase et préconstruit, entre préconstruit, présupposé et prédiscours, notamment en interrogeant la part de l’un et de l’autre dans le fonctionnement de l’ironie, de l’argumentation et des procédés de figuration dans le discours, qui revisitent l’analyse de certains marqueurs souvent étudiés en ces termes (cf. supra) en y intégrant d’autres moins travaillés notamment relevant de l’oralité (like, genre, du coup, say, etc.), qui interrogent le fonctionnement du préconstruit dans les incipit, dans la poétique et dans la génétique des textes, dans les genres brefs (slogan, proverbes, publicité par exemple), etc.
REFERENCES DES SOURCES CITEES DANS L’ARGUMENTAIRE
Bouscaren, J. & J. Chuquet, 1987, Grammaire et textes anglais, guide pour l'analyse linguistique, Gap/Paris, Ophrys.
Culioli, A., 1975-76, Transcription du séminaire de D.E.A de M. A. Culioli, « Recherche en Linguistique Théorie des opérations énonciatives » par les étudiants, transcription réalisée par Solenn Aliji et Lionel Dufaye, col. Archives et transcription, le LISAA éditeur.
Deloor, S., 2012, « Bref aperçu des travaux sur la présupposition », Langages n° 186 :3-20.
Ducrot, O., 1969, « Présupposés et sous-entendus », Langue française n° 4, La Sémantique : 30-43.
Chuquet, H. 2000, « L'imparfait français est-il traduisible en anglais ? Le cas de l'imparfait dit 'de rupture' » in Linguistique contrastive et traduction, Tome 5, Gap, Ophrys, 67-85.
Fisher, S., 1983, « Postface », S. Fisher et J.-J. Franckel (dir.), Linguistique, énonciation.
Aspects et détermination : 165-170.
Kleiber, G., 2012, « Sur la présupposition », Langages n° 186 : 21-36.
La Mantia, F. 2020, Pour se faire langage. Lexique élémentaire de la Théorie de Opérations Prédicatives et Enonciatives d’Antoine Culioli, Lexica n°1, Academia.
Paveau, M-A, 2017, « Le préconstruit, généalogie et déploiement d’une notion plastique »,
F. Bréchet, S. Giai-Duganera, R. Luis, A. Mezzadri & S. Thomas (dir.), Le préconstruit, approche pluridisciplinaire, 192, Classique Garnier, Rencontres, 78-2-406-06807-5. HAL Id: hal- 01672261, hal.science/hal-01672261.
Wyld, H., 2014, « Constructing reality: on the operation of validation in T.O.E. », Travaux linguistiques du CerLiCO, Du réel à l'irréel, 25 (1) : 297-302.
Zuber, R., 1975, « À propos du statut sémantique de la présupposition », Études de linguistique appliquée 19 : 43-51.
FORMAT DES COMMUNICATIONS
Les propositions de communication portant sur toutes les langues sont les bienvenues (500 mots + bibliographie), en français ou en anglais, pour des communications de 30 min + 10 mn de discussion.
Adresses d’envoi : christine.copy@univ-eiffel.fr et lionel.dufaye@univ-eiffel.fr
LIEU
Le colloque aura lieu les 15 et 16 janvier à l’Université Gustave Eiffel, Champs-sur-Marne. Une demi-journée sera consacrée à une masteriale/doctoriale.
CALENDRIER
Date-limite d’envoi des propositions de communication : 15 septembre 2023. 5 octobre 2023. Date de retour des avis du comité scientifique : 15 octobre 2023. 30 octobre 2023.
CONFERENCES PLENIERES
Francesco La Mantia, Università degli Studi di Palermo, Italie.
Marilia Blundi Onofre, Universidade Federal de São Carlos (UFSCar) et Jacqueline Jorente, IFSP (Instituto Federal de Educação, Ciência e Tecnologia de São Paulo), Brésil.
ORGANISATRICE
Christine Copy, Université Gustave Eiffel, EA 4120 LISAA
CO-ORGANISATEUR
Lionel Dufaye, Université Gustave Eiffel, EA 4120 LISAA
COMITE SCIENTIFIQUE
Jean Chuquet-Université de Poitiers
Monique De Mattia-Viviès-Université Aix-Marseille Françoise Doro-Mégy-Université Paris-Est Créteil Hugo Dumoulin- Université Paris Nanterre Catherine Filippi-Université de Rouen
Jean-Jacques Franckel-Université Nanterre Isabelle Gaudy-Campbell-Université de Lorraine Lucie Gournay-Université Paris-Est Créteil
Lise Hamelin-Université de Cergy Sylvie Hanote-Université de Poitiers
Marge Käsper- Université de Tartu, Estonie Agnès Leroux-Université Paris-Nanterre Julien Longhi- Université de Cergy
Raluca Nita-Université de Poitiers Sylvester Osu-Université de Tours Philippe Planchon-Université de Tours Alain Rabatel - Université de Lyon 1 Graham Ranger-Université d’Avignon Wilfrid Rotgé-Université Paris-Sorbonne Sarah de Vogüé-Université Paris Nanterre