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Les trois axes de recherche 2024-2029

L’Unité participe activement aux recherches sur la « ville durable » qui sont au centre de la nouvelle Université Gustave Eiffel et de l’I-SITE FUTURE, confirmé en mars 2022. Elle répond ainsi aux sollicitations des pilotes de ces projets qui souhaitent conforter la part des SHS dans la construction des réponses aux défis à venir, définis autour des notions de justice, d’équité, de sobriété et de résilience. Le LISAA propose d’aider à « mettre l’humain au centre de la ville » selon la formule d’origine du projet I-SITE. Il explore ainsi les espaces urbains comme des espaces humains dans le prolongement de recherches déjà engagées au sein de l’unité. Il s’agit d’envisager l’espace des villes non pas de façon exclusivement technique et / ou abstraite mais de penser les systèmes urbains de façon critique grâce aux humanités et aux arts. Cela permet de mettre la théorie à l’épreuve des pratiques déjà existantes ou des appropriations, de réfléchir aux structures urbaines avec ou « contre » le corps individuel ou social, autrement dit, de penser aussi la ville comme un espace politique. Dans un contexte où les études éco-poétiques et éco-critiques ne cessent de se développer, il apparaît également nécessaire d’interroger les paysages et les organisations des villes et de leur environnement à la fois comme espaces politiques et mémoriels et comme scènes esthétiques et symboliques. C’est ce que propose chaque sous-groupe de l’équipe LISAA en fonction de ses particularités linguistiques et territoriales, permettant ainsi à l’ensemble du laboratoire de construire une vision commune dans des échanges pluridisciplinaires innovants.

La ville, ou plutôt, les villes, sont des espaces habités par des personnes. Les humanités et les arts s’attachent à mieux les connaître, dans leur singularité et leur dimension sociale, comme des corps et comme des consciences, à travers des discours, des oeuvres, des langues, des cultures, des actes générateurs de représentations. Les fictions permettent aussi de les imaginer, de les fabriquer, d’éviter des avatars monstrueux. De Troie à Gotham City en passant par les « Villes invisibles » de Calvino, les villes imaginées sont les lieux des origines fantasmées et des anticipations explorées par les créations. De tailles diverses, reliées entre elles par des réseaux géographiques et sociaux, les villes offrent des terrains d’analyse scientifique variés. Comme constructions et comme systèmes, les villes sont des lieux essentiels des sociétés, depuis la cité grecque, la polis, lieu fondateur du politique. Elles en conservent également les archives et une part essentielle du patrimoine artistique et livresque. Enfin, en interaction et dialogue avec leur environnement naturel, elles sont aux prises avec les défis écologiques.

Les projets de fédération toujours en cours d’évaluation pour le quinquennal à venir inscrivent le LISAA dans un périmètre interlaboratoire à l’échelle de l’ensemble de l’Université et au-delà. Ils mettent en jeu d’une part l’étude des représentations et de leurs effets et, d’autre part, l’étude des urbanités qui proposent de penser les manières de vivre (dans) les villes ainsi que les manières de les imaginer. Le rôle de l’écriture à travers des formes diverses ainsi que celui des pratiques et oeuvres artistiques et numériques sont des champs privilégiés des études du LISAA. Ces représentations constituent des palimpsestes urbains que l’on peut étudier ou créer afin de mieux lire et comprendre les villes, sur le modèle développé par Michel de Certeau dans L’Invention du quotidien. Ainsi, les travaux en recherche/création, envisagés à partir d’une réflexion originale sur les fondements urbains des pratiques artistiques numériques, relèvent de cette perspective. Il en est de même des usages de la technologie qui visent à cerner les enjeux esthétiques de l’appropriation et du détournement des formes techniques. Enfin, ces usages donnent lieu à une réflexion épistémologique qui fait l’hypothèse que les discours sur l’art actuel sont, pour partie ou totalité, corrélés à la transformation de l’urbanisme entendu au sens large d’une production de l’espace et des sensibilités. L’empan transséculaire de l’unité et la pluralité des aires géographiques auxquelles elle se consacre lui permettent d’aborder de nombreux terrains, dans la continuité des recherches passées. Travailler sur et dans la ville favorise le développement de « sciences en société » : la pratique de l’interdisciplinarité familière aux membres du LISAA, leurs nombreuses activités d’enseignement, de dissémination scientifique et de construction collaborative avec le public, sont ainsi orientées vers le transfert des connaissances et des savoir-faire y compris dans des activités développées avec le monde socio-économique.

Ainsi les villes sont envisagées comme des « villes créatives » dans lesquelles se forgent et se diffusent les cultures selon des spécificités liées aux différentes époques depuis le Moyen Âge et aux différentes aires géographiques et linguistiques. Ainsi des travaux s’intéressent notamment aux effets de la modernité urbaine sur les pratiques de réception et de création artistiques, littéraires, cinématographiques, visuelles et musicales, comme le souligne la pensée de Walter Benjamin. En effet, les territoires urbains délimitent des espaces de diffusion, voire de consommation des oeuvres d’art en forgeant des liens privilégiés avec l’émergence et le développement des cultures populaires.

Le rapport entre les savoirs et les créations continuera de constituer l’ADN de l’unité. L’étude de la contribution des créations artistiques et littéraires aux savoirs, en particulier aux sciences, et symétriquement, celle des discours savants ou scientifiques aux créations, resteront structurantes pour le LISAA.

Les savoirs sont entendus notamment au sens défini par Michel Foucault, comme « Cet ensemble d’éléments, formés de manière régulière par une pratique discursive et qui sont indispensables à la constitution d’une science, bien qu’ils ne soient pas destinés nécessairement à lui donner lieu. » En ce sens, nous considérons qu’il existe un continuum entre les mondes savants et lettrés ou artistiques, entre l’esprit et la main tels qu’ils sont analysés par Christian Jacob. Le LISAA étudie également la place des théories et pratiques scientifiques dans les arts et la littérature selon la voie de l’épistémocritique frayée par Michel Pierssens et Gisèle Séginger.

Les savoirs du vivant en littérature et en sciences sont le centre de programmes de recherche en cours. Le projet IUF de Juliette Azoulai s’intéresse ainsi à l’écriture de la vie sous-marine dans la seconde moitié du XIXe siècle dans le contexte de la constitution de la discipline de l’océanographie. Il étudie les interactions entre littérature et biologie marine. Dans le sillage des recherches de Gisèle Seginger et notamment du programme « Urbanature », les réflexions sur les rapports entre création artistique et invention scientifique ou technique constituent les démarches fondatrices de l’équipe. Il s’agit d’interroger et d’explorer les intersections entre science, arts (littérature incluse) et société. Le médium discursif commun à la littérature et aux sciences est un terrain privilégié pour l’étude de ces échanges. Un regard archéologique vers la première modernité apporte des éclairages importants sur l’interdisciplinarité, car cette dernière est le fondement de l’humanisme du XVIe siècle.

Ces programmes s’enrichissent de la collaboration avec les informaticiens qui ne fournissent pas seulement des outils de fouille textuelle ou de visualisation mais invitent à questionner les fonctionnements discursifs, les modalités de visualisation et plus globalement la transformation numérique qui affecte la production des savoirs comme leur diffusion. Le travail mené avec les informaticiens du LIGM (Laboratoire d’informatique Gaspard Monge) se poursuivra à la fois autour du vivant et autour des programmes sur la visibilité des savoirs des femmes qui engagent toutes les équipes internes. Une même réflexion de fond est menée du côté des arts sur les possibilités de création et de diffusion induites par les évolutions des technologies numériques et le développement de l’intelligence artificielle. La notion d’émergence, centrale pour CCAMAN, cristallise la réflexion sur le rapport entre création et innovation. Elle permet de développer des collaborations fortes à l’extérieur de l’Université Gustave Eiffel, avec le monde académique (Labex Arts h2h, UVSQ, Université de Montréal) et avec le monde culturel (CDMC, conservatoires, Centre culturel tchèque). Le développement de recherches autour de la réalité virtuelle permettra également de poursuivre le travail interdisciplinaire.

La réflexion épistémologique s’exerce également à travers de nombreuses démarches de recherche-création et de création qui ont notamment déjà donné lieu à un colloque auquel l’ensemble du LISAA a participé : elles sont définies et problématisées au sein du volume Dispositifs de recherche-création coordonné par Florent di Bartolo et Olivier Bonin (éditions Delatour, 2024), premier jalon d’une réflexion collective sur ce champ en plein essor. Une telle démarche impose un usage critique des technologies de création actuelles. Depuis sa fondation, le LISAA, ainsi que l’UFR LACT et l’école doctorale Cultures et Sociétés, ont été particulièrement actifs dans ce domaine à l’échelle régionale, nationale et internationale, contribuant aux rapprochements en cours dans l’ensemble de l’Europe entre les écoles d’arts et les universités.

Ces recherches continueront de nourrir intensément la formation par la recherche de diverses manières. Le public étudiant participe à des démarches de recherche-création qui le met en contact avec artistes, chercheuses et chercheurs. Les étudiants et étudiantes notamment du master Arts, Lettres et Civilisations comme ceux du Master Édition sont également initiés aux nouvelles technologies dans une approche réflexive. Il s’agit d’évaluer les transformations humaines et sociales induites par les mutations des sciences et des techniques.

En dehors des questions spécifiques de création et de recherche-création, le positionnement théorique de la recherche en art est articulé en un premier temps sur la question de la critique, étudiée sous divers angles : historique, monographique, éditorial, rhétorique, éthique, politique, poétique (i.e. les genres de la critique) et selon un réseau de relations (transferts culturels, enjeux comparatistes, traduction). Dans le champ cinématographique, l’activité de recherche peut prendre appui sur la délégation à l’IUF de Marc Cerisuelo pour son projet intitulé « Les enjeux franco-américains de la critique cinématographique au vingtième siècle » (2023-2028). Le travail collectif en musique, histoire de l’art, philosophie de l’art, études visuelles et cinéma permet de dépasser largement les limites de cette dernière discipline. La critique est en effet envisagée comme une question, et les réponses appartiennent aussi bien à la société dans son ensemble qu’au seul champ de la recherche. La pratique régulière de la critique par plusieurs membres de l’équipe au sein de périodiques consacrés aux arts et aux lettres (Cahiers du cinéma, Positif, Critikat, Critique, etc.) offre un vaste terrain d’exercice, y compris pour les doctorantes et les doctorants, et plus largement dans le cadre de la formation par la recherche. Les travaux scientifiques relèvent en un second temps d’une conception renouvelée de l’esthétique et de l’histoire des formes, en établissant des ponts avec des approches émergentes, ou tout au moins peu sollicitées dans nos disciplines, à savoir : l’archéologie des médias, la philosophie du langage ordinaire, l’étude des cultures populaires, l’étude de la « boîte noire technologique » (réalité virtuelle, intelligence artificielle, différentes formes de la modernité sonore). Le souci des oeuvres et des formes demeure l’objet d’une attention privilégiée par-delà la production de ce savoir réflexif original.

Sur le plan méthodologique, la recherche en art est élaborée en trois points : discours, formes, représentations. L’analyse en termes de discours se situe clairement sous l’égide foucaldienne mise en avant par l’équipe. Elle lui adjoint des procédures et des approches concernant des objets plus spécifiques, en particulier l’étude du discours critique et la constitution de son archive (textes, entretiens écrits ou oraux, traces audiovisuelles, etc.). Ce discours, dans sa production, conquiert son efficacité non seulement dans la démonstration savante mais aussi par les degrés de la persuasion. Son « impureté» cognitive native impose une pluralité d’approches disciplinaires : la rhétorique, mais aussi la linguistique, la théorie de l’énonciation, la philosophie du langage ordinaire, la cinéthique, les études visuelles, l’analyse politique, les théories féministes et la traductologie constituent autant de voies d’entrée dans la détermination et l’analyse du discours dans toute sa richesse. En apparence plus traditionnelle dans l’analyse des oeuvres, l’approche formelle révèle autant d’enjeux différents, situés cette fois sur le plan strictement esthétique. Elle relève tout d’abord, il convient explicitement d’y insister pro domo sua, de la revendication d’une approche esthétique en temps d’oubli de la forme et de création de « contenus ». Les différentes formes, musicales, filmiques, picturales, photographiques et littéraires font avant tout l’objet de recherches spécifiques, selon les procédures d’une tradition esthétique éprouvée, et sont rarement étudiées comme des « reflets » d’une société ou d’une idéologie. Articulée en un second temps aux discours ou à l’étude des formes de minorisation (voir plus bas le troisième axe), l’étude formelle ne reste cependant pas aveugle au réel – ce qui conduit à une troisième approche, celle des représentations, qui donne toute son importance à un projet global, clairement situé dans son historicité.

L’étude de la construction et de la diffusion des savoirs ainsi que celle des créations ne peut ignorer les effets des minorisations et des dominations. En effet, les études menées au LISAA dans une perspective diachronique mettent en évidence l’effet des partis pris idéologiques et des structurations institutionnelles non seulement sur l’accès aux connaissances mais aussi sur la nature même des savoirs et sur la construction des champs disciplinaires. Les chercheurs et chercheuses du LISAA développent des programmes analysant la mise à l’écart de populations en raison de critères de genre, de sexualité, de classe sociale, de dynamiques de racialisation ou encore de religion. La place des individus et des communautés à l’âge des colonisations et post-colonisations doit être questionnée. Réciproquement, ces recherches mettent en lumière les savoirs et cultures délégitimées dont les apports constituent aujourd’hui des sources de renouvellement des disciplines, des « frontières de la connaissance ». Les travaux des membres du LISAA explorent ainsi les articulations complexes entre les enjeux épistémologiques, politiques et sociaux.

Dans ces études, la perspective internationale est essentielle et le LISAA bénéficie d’un écosystème très favorable en croisant études anglophones, hispanophones et francophones, qui proposent des outils et des méthodes qui renouvellent les champs des savoirs, des débats théoriques qui sont examinés de manière critique. De plus, les questions liées aux minorisations sont étudiées dans diverses aires géographiques et de manière diachronique, du Moyen-Âge à l’époque contemporaine, offrant autant de terrains de recherche pour construire des savoirs plus divers assurant une représentation épistémologique et politique plus juste.

La question de la visibilité et de l’invisibilité des personnes et de leurs legs apparaît de manière transversale dans cet axe. Les créations et productions peuvent constituer des moyens d’expression de caractères auxquels on refuse un droit de cité à une époque ou dans un espace donné. L’étude des pratiques et représentations artistiques, politiques et sociales est un champ privilégié de l’étude des luttes contre les minorisations et discriminations.
Ainsi, les études permettent d’interroger les épistémologies, de produire de nouveaux savoirs et de faire en sorte que la recherche scientifique contribue à la construction des politiques d’égalité dans l’ensemble des sociétés, y compris dans l’enseignement supérieur et à la transformation des universités, lieux de savoirs jadis interdits à de nombreuses populations.

La question du politique, ses effets sur la construction, la diffusion et la réception des oeuvres, mais aussi plus généralement sur la constitution de subjectivités individuelles et collectives à travers des logiques de contestation, des pratiques de résistance qui renouvellent les définitions de la narration, de la figuration, de l’exposition, voire de l’interprétation est essentielle. Les travaux récents menés par les membres du LISAA sur certaines aires géographiques (mouvement « 15M » en Espagne durant la décennie 2010, mouvement suffragiste dans le monde anglo-américain), ou sur certaines mémoires plus globales (sommet altermondialiste de Gênes en 2001) ont interrogé les frontières poreuses entre l’oeuvre et l’archive. Certaines catégories intellectuelles fondatrices de l’esthétique, telle l’autonomie, font également l’objet d’enquêtes en cours sous ce prisme.