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La forme-diptyque au cinéma

16 décembre 2024, 20 janvier, 10 février, 3 mars, 7 avril et 16 juin 2025 | Organisation: Diane Arnaud, Laurent Guido, Emmanuel Siety

 

La forme-diptyque au cinéma

Séminaire de recherche

organisé par Diane Arnaud, Laurent Guido, Emmanuel Siety

Les lundis 16 décembre 2024, 20 janvier, 10 février, 3 mars, 7 avril et 16 juin 2025 

de 16h30 à 19h30

Maison de la recherche de la Sorbonne-Nouvelle, salle Claude Simon,
4 rue des Irlandais 75005 Paris

Pourquoi « deux » plutôt qu’un, et plutôt que trois ou plus ?

Ce séminaire de recherche vise à mieux cerner les contours et les implications de la forme-diptyque au cinéma. Définir une telle forme montre déjà à quel point la notion s’avère complexe: la formation d’un diptyque cinématographique dépend du regroupement de deux éléments distincts, mais identifiés comme les deux parties – a priori symétriques et comparables – d’un même ensemble, que ces parties correspondent à deux portions d’un même écran, deux écrans juxtaposés, deux sections successives d’un unique film ou deux films en intégralité.

Il conviendra de s’interroger notamment sur le principe de différenciation permettant de justifier le traitement d’un même sujet en deux blocs. La séparation peut s’appuyer aussi bien sur des dichotomies bien établies (homme/femme; réel/fiction) que sur l’opposition ou le contraste entre des types de production (genres, styles) bien délimités, ou encore des différences de focalisation, de dispositif narratif ou d’orientation esthétique. Que produit pour le public cette division instituant un intervalle, une séparation temporelle, un rapport mémoriel de l’une à l’autre partie ? Qu’implique-t-elle pour la construction de personnages, de mondes et, plus abstraitement, en termes d’intensité, de complémentarité, de spécularité, d’opposition, d’altérité – y a-t-il crescendo de l’une à l’autre, équilibre de forces ou dissymétrie, tension irrésolue entre deux pôles, etc.?

La réflexion et la discussion devront également porter sur les modalités temporelles qu’engage une division en deux parties, au niveau de la distribution (voir plus bas) comme en termes diégétiques. Car la forme-diptyque investit tant le plan de la simultanéité (versions alternatives d’une même fiction, perçue selon les points de vue différents de deux personnages ou selon des embranchements d’actions qui ne se recoupent pas) que celui de la successivité: une même histoire divisée en deux « époques » qui peut suivre le modèle évolutionniste de type « ascension » – « déclin » ou celui qui consiste à réactiver, après quelques années d’intervalle, le cadre spatio-temporel d’un premier récit, comme dans les documentaires revisitant les lieux d’un précédent tournage.

L’idée directrice est de se concentrer en premier lieu sur les cas de diptyque formé par deux films, où chaque partie donne lieu à une séance distincte, et, dans un second temps, de forger des comparaisons avec les cas de « diptyque interne » incluant les films « bipartites » (on entend par là les films comportant deux parties soit successives, liées dans la même séance, soit simultanées, sous la forme d’une double projection ou d’un split screen). Différentes problématiques apparaissent d’emblée:

- Le diptyque soulève des questions génétiques et liées à la diffusion des œuvres, la forme-diptyque pouvant émerger à des étapes diverses de la fabrication comme de la circulation d’un film. La décision de penser une œuvre comme un diptyque peut intervenir dès le projet initial, au moment de l’écriture d’une version du scénario, ou ultérieurement dans le processus de création/production. A-t-on affaire à une œuvre unique portant en elle une dualité structurelle dès sa création ou un projet sans diptyque qui, à un moment, accouche de deux œuvres autonomes et cependant liées (Gift et Le Mal n’existe pas de Ryusuke Hamaguchi) ? Quelle est la part respective des partenaires de création dans cette décision ? Une œuvre peut faire l’objet d’une programmation particulière qui le redéploie en diptyque ou, s’il est déjà divisé en deux parties, brise sa forme-diptyque pour le montrer sous d’autres modalités. Si tel est le cas, comment l’analyser selon ses divers contextes de diffusion (sortie initiale, ressorties ultérieures, en n’oubliant pas les variantes en fonction des territoires et des modes d’exploitation: salles, télévision, éditions vidéo, plateformes, etc.) ?

  - S’agit-il d’une œuvre « à suivre », dont les deux parties sortiront avec un intervalle de temps qui peut être important ? (comment se décide alors la stratégie de distribution/exploitation/promotion ?) Ou bien d’un « double film » ou de « deux films jumeaux » (comme pour No smoking et Smoking) dont les deux parties sont alors, possiblement, distribuées simultanément, et construisent une forme de complémentarité (fictions alternatives, variation de point de vue, contrepoint, regard fictionnel/regard documentaire, commentaire réflexif sur l’acte de création…) ?

- Quelle extension donner à la notion de diptyque ? On a considéré plus haut les diptyques « déclarés », affichés comme tels. Mais qu’en est-il de cas tangents, fréquents dans le cinéma documentaire où un auteur « revient » sur une institution, une personne, une question, au point par exemple de redonner à une œuvre le titre d’une œuvre antérieure (Wiseman) ? Ou quand les deux éléments du diptyque sont séparés de plusieurs décennies (Farrebique et Biquefarre) ? Ou encore, quand il ne s’agit peut-être pas exactement de diptyques pour l’auteur mais de deux œuvres en écho, l’une optant par exemple pour la forme documentaire, l’autre pour la fiction (Jia Zhang-Ke) ? Est-on fondé à les étudier comme un diptyque, comme « deux solutions pour un problème » ?

- Relativement à l’histoire du cinéma et à l’évolution actuelle de la production et de la diffusion audiovisuelle: cette forme connaît-elle un essor lié à celui des séries et de ce qu’elles permettent en termes de construction narrative et de complexité de la construction du regard ? A-t-elle à voir avec une stratégie spectaculaire (la superproduction, le monument) ? Est-elle liée à la possibilité de tourner plus longtemps en numérique ? Est-ce parce que le « temps déborde » ?

- Dans une approche davantage tournée vers l’esthétique, dans quelle mesure les agencements de diptyques formés par deux unités filmiques distinctes prolongent-ils les inventions émanant de diptyques internes ? Si l’on considère le cinéma de fiction contemporain, il est remarquable que la tendance des films coupés en deux inaugurée au début du XXIe siècle par David Lynch ou Apichatpong Weerasethakul ait laissé place depuis 2020 à une kyrielle d’œuvres dépliées en deux films, réalisées par des auteurs tels que João Canijo, Laura Citarella, Kôji Fukada, Joanna Hogg et Aron Shani. Face à cette résurgence actuelle, l’enjeu consiste à préciser quels critères (effet miroir, structure d’échos, etc.) permettent de distinguer parmi les films scindés en deux parties, notamment chez Hong Sang-soo ou Bi Gan, ceux qui se rattachent à l’esthétique complexe d’une forme-diptyque et ceux qui s’en éloignent.

- Enfin, de quelles façons la forme-diptyque, par sa force de proposition, redéfinit-elle et redécoupe-t-elle les unités du cinéma – la situation, la scène ou le plan – jusqu’à faire bouger les lignes à partir desquelles une image est délimitée dans le cadre ou dans le temps ? Quels liens établir entre les formes simultanées et successives du diptyque dans la perspective d’une histoire des formes ?

Pour répondre à ces différentes questions, le séminaire ne limitera le champ des interventions ni au cinéma de fiction, ni au cinéma d’essai documentaire mais l’ouvrira également au cinéma expérimental et aux séries télévisées.

Au programme de l’an I du séminaire de recherche

16 décembre 2024 | Enquêtes génétiques

François Thomas, No smoking et Smoking, les jumeaux accidentels

 Rien ne semblait prédestiner l’adaptation de la série de huit pièces du dramaturge britannique Alan Ayckbourn Intimate Exchanges (1982) à devenir une dizaine d’années plus tard No smoking et Smoking (ou Smoking et No smoking), ce qu’Alain Resnais surnommera des « films jumeaux », sortis le même jour, à voir dans l’ordre que choisira chaque spectateur. La genèse de ces deux films a posé quantité de défis pour l’accord d’une société de production, l’écriture de deux scénarios, le tournage, et la préparation d’une sortie ludique qui doit convaincre le public de voir impérativement les deux films et non un seul. 

Post-scriptum: en 1999, Resnais entreprendra sans lendemain le projet d’un film dont le protagoniste masculin serait obsédé par le diptyque d’Ayckbourn House et Garden, deux pièces représentées simultanément par la même troupe devant deux publics différents dans les deux salles d’un même complexe théâtral.

François Thomas est professeur à l’université Sorbonne-Nouvelle. Son dernier ouvrage: Trente ans avec Alain Resnais publié aux Impressions Nouvelles.

Katalin Pór, Ici et ailleurs: construction en diptyque de l’espace européen à Hollywood

 Durant la période hollywoodienne classique, l’inscription de l’intrigue dans une ville européenne semble souvent appeler la présence, en contrepoint, d’une autre ville, qu’elle soit européenne ou américaine. Les récits ayant pour cadre l’Europe prennent alors fréquemment la forme d’un diptyque, le récit se structurant en deux parties, se déroulant dans deux espaces distincts. C’est notamment le cas de trois films, réalisés entre 1932 et 1945: Scarlet Dawn (William Dieterle, Warner, 1932), qui raconte l’itinéraire d’un aristocrate durant la révolution bolchévique, entre Moscou et Istanbul ; Ninotchka (Ernst Lubitsch, MGM, 1939), construit entre Paris et Moscou ; ou encore Rhapsody in Blue (Irving Rapper, Warner, 1945), biopic qui suit le parcours de George Gershwin de New York à Paris.

Comment comprendre cette récurrence, et quelles sont les différentes logiques qui président à ce choix de traitement par espace divisé ? À travers l’analyse de divers documents de production (scénario, mémos, correspondance…), nous nous pencherons sur la genèse de ces trois films. On essaiera de repérer la manière dont cette structure binaire émerge, à travers une pluralité d’interventions et à l’articulation de conceptions parfois divergentes.

Katalin Pór est professeure en études cinématographiques à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis et membre de l’Institut Universitaire de France. Elle a récemment publié Lubitsch à Hollywood. L’exercice du pouvoir créatif dans les studios aux Éditions du CNRS (2021). Ses travaux actuels portent sur le rôle joué par les réseaux transnationaux dans la politisation du cinéma hollywoodien.

20 janvier 2025 | Féminin/masculin: variations formelles et culturelles

Noël Herpe, La Vie conjugale: quand André Cayatte se dédouble

Au beau milieu des années soixante, alors qu’il est réputé appartenir au passé, André Cayatte se lance dans son entreprise la plus folle: écrire un film en deux parties parallèles, de la longueur chacune d’un long métrage, et que le public pourrait découvrir dans n’importe quel ordre. Le sujet, et le titre ? La Vie conjugale. C’est-à-dire la perception singulière que chacun des acteurs d’un couple, après coup, peut avoir de leur histoire commune.

Ce travail, en termes de construction scénaristique, constituera pour lui et ses collaborateurs un casse-tête qui se poursuivra jusqu’au tournage. Les spectateurs récompenseront ces efforts, en se projetant passionnément dans le récit de Jean-Marc ou dans celui de Françoise. Aujourd’hui, on est peut-être moins sensible au tour de force narratif (et aux plaidoyers en trompe-l’œil) qu’à l’exceptionnel panorama sociologique, notamment en matière de dialogue, d’émulation, de compétition entre hommes et femmes.

Maître de conférences à l’université de Paris 8, Noël Herpe est l’auteur de nombreux ouvrages sur le cinéma français. Le dernier en date, paru chez Capricci, s’intitule Travestissons-nous !

Ophir Levy, Interprétation et contrepoint: Chained/Beloved (2019) de Yaron Shani

Au sein de l'ensemble que le cinéaste israélien Yaron Shani a parfois décrit comme sa « trilogie de l'amour », les films Chained et Beloved forment un poignant diptyque. Le premier décrit la lente dégringolade, sur le plan social et conjugal, d'un policier injustement accusé d'agression sexuelle qui voit peu à peu sa femme et ses collègues l'abandonner. Le second film propose une sorte de contrepoint, de développement d'une autre ligne narrative se fondant sur une même situation initiale mais telle qu'elle a été vécue par l'épouse du policier.

Ce souci de restituer les points de vue respectifs de chacun des membres d'un couple, conduisant le spectateur à reconsidérer la nature même des événements présentés en fonction du regard porté sur eux, Yaron Shani le partage avec un autre scénariste et cinéaste israélien: Hagai Levi. Ce dernier, dans ses séries BeTipul (En Thérapie) et The Affair, fait de la variation des points de vue le sujet même de ses intrigues. Le déroulé des faits y devient en somme moins captivant que l'évaluation par le spectateur des écarts qu'il peut constater dans leur mise en récit par les différents personnages. Les aléas de la subjectivité (singularité du point de vue, mémoire défaillante, déni, mauvaise foi) importent autant que les faits relatés. Sans doute n'est-ce pas un hasard si le policier de Chained est surnommé Rashi (homonyme de l'un des plus grands exégètes que la tradition talmudique ait connus), tant il s'agit, dans ces différentes fictions construites sur le mode du diptyque, du contrepoint et du commentaire, de faire de la démarche interprétative le lieu même de notre plaisir spectatoriel.

Ophir Levy est maître de conférences à l’université de Paris 8. Il est l'auteur d'Images clandestines. Métamorphoses d'une mémoire visuelle des "camps" (Hermann, 2016) et a co-dirigé avec Emmanuel Taïeb l'ouvrage Puissance politique des images (PUF, 2023).

10 février 2025 |  L’acte de création bifide

Élise Domenach, La désorientation comme catégorie critique de l’écocinéma

dans le diptyque Still Life – Dong (2006) de Jia Zhang-ke

En partant de la genèse commune de ces deux films ancrés dans la découverte par Jia Zhang-ke des paysages et des désastres sociaux et environnementaux dans la région du barrage des Trois Gorges, nous proposerons une lecture de ces deux films à l’aune d’une catégorie critique de l’écocinéma: la désorientation, qui signale la juxtaposition entre le réel et le fantastique au sein de réalités filmées tant sur le mode documentaire que sur le mode fictionnel dans la ville de Fengjie en voie de disparition (d’immersion). Nous nous appuierons sur les entretiens de Jia publiés ainsi que sur deux entretiens menés en 2024 avec Jia et avec son monteur Matthieu Laclau pour comprendre comment le brouillage de frontière entre réalité et irréalité en un lieu en profonde mutation complique la distinction documentaire / fiction, et comment la « désorientation » opère tant au niveau esthétique qu’au niveau politique pour exprimer le désarroi devant les destructions massives et acheminer une critique de ce projet phare du communisme dans cette région berceau de l’esthétique chinoise.

Élise Domenach est professeure d’études cinématographiques à l’ENS Louis-Lumière, spécialiste de philosophie du cinéma, des cinématographies asiatiques et de l’écocritique cinématographique. Elle a publié de nombreux articles sur le cinéma taiwanais, Lav Diaz, Wang Bing, Hamaguchi Ryusuke, et deux livres sur le cinéma japonais: Fukushima en cinéma. Voix du cinéma japonais/ Fukushima in Film. Voices from the Japanese Cinema (Univ. De Tokyo Booklet, 2015) et Le Paradigme Fukushima au cinéma. Ce que voir veut dire (2011-2013) (Mimesis, 2022).

Clément Rauger, Art du tâtonnement et poétique du fragment dans l’œuvre de Ryusuke Hamaguchi

Le cinéma de Ryusuke Hamaguchi est un secret (aujourd’hui partagé du plus grand nombre) qui a su préserver sa part de mystère. Entrecroisant fictions, documentaires, courts ou moyens métrages, son travail se fait par tâtonnement et par fragment. Son premier film tourné en Super 8 (Like Nothing Happened, 2003) existe en deux versions (une courte et une longue), un dédoublement que l’on observera à nouveau pour Intimacies (2012) et, dans une moindre mesure, pour Touching the Skin of Eeriness (2014) se présentant comme la première partie d’un diptyque qui ne connaîtra jamais de suite. Cette année, Le Mal n’existe pas s’accompagne d’une œuvre complémentaire et jumelle, Gift. Cette intervention vise à s’interroger sur le concept du « film bifide » chez Hamaguchi.

Journaliste, programmateur et traducteur, Clément Rauger a été chargé de cinéma à la Maison de la Culture du Japon à Paris. Il écrit également aux Cahiers du Cinéma et à Trafic.

3 mars 2025 | Le diptyque en différé 

Sébastien Layerle et Martin Goutte,  Documentaires en deux temps: diptyques, suites et retours

Interroger la place des diptyques dans l’histoire du cinéma documentaire revient en premier lieu à constater leur relative rareté, un schéma malgré tout récurrent consistant en celui d’un film qui, à bonne distance, revient sur les images et parfois le tournage d’une œuvre précédente, qu’il s’agisse d’une fiction (Retour en Normandie de Nicolas Philibert) ou d’un documentaire (l’exemple paradigmatique de Farrebique et Biquefarre de Georges Rouquier). Pour être majoritaire, cette construction du diptyque a posteriori n’est toutefois pas la seule envisageable. Si par définition un diptyque serait une « œuvre composée de deux éléments distincts mais complémentaires souvent en opposition ou en dialogue entre eux » (Dictionnaire de la langue française), cette catégorie de films peut se traduire au sein du champ documentaire selon au moins quatre modalités nettement identifiables: outre le cas très rare de l’auto-remake (La Rosière de Pessac de Jean Eustache) et celui plus fréquent de deux films se faisant suite (comme El Impenetrable et El Chaco de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini), nous évoquerons plus précisément ceux de l’œuvre d’emblée pensée en deux volets (Mon pire ennemi et Là où Dieu n’est pas de de Mehran Tamadon) et de celle proposant un retour de l’auteur sur son propre film (Following Sean de Ralf Arlyck).

Martin Goutte et Sébastien Layerle sont maîtres de conférences au département Cinéma et Audiovisuel de l’Université Sorbonne Nouvelle et membres de l’IRCAV (EA 185).

Swann Rembert, Réflexions sur le diptyque, le remake et la copie à partir de One Way Boogie Woogie/27 Years Later de James Benning.

L’un des grands traits de l’œuvre – aussi bien filmique que non-filmique – de James Benning, cinéaste structurel américain majeur, est d’avoir exploré et questionné les écarts et les congruences entre la forme diptyque, la notion de remake et l’acte de (re)copier. Avec One Way Boogie Woogie/27 Years Later (2005), Benning procède concrètement à un brouillage et à un approfondissement de ces liens mouvants en opérant la soudure, la fusion en diptyque a posteriori de son fameux One Way Boogie Woogie de 1977 et de son remake 27 Years Later. Dans le deuxième membre de ce diptyque « après coup », le cinéaste filme les lieux perdus et retrouvés de sa ville natale de Milwaukee tout en jouant sur la disjonction des plans visuels, nécessairement différents malgré les angles fixes reproduits du décor urbain originel, et du paysage sonore – la bande-son est strictement celle de l’original, plaquée sur ce second film. À partir de ce cas de figure ambigu puisque One Way Boogie est autant un diptyque qu’un triptyque ou un tétraptyque, nous verrons comment Benning interroge la stabilité de cette forme filmique duelle qui traverse les époques à travers l’opération du remake dont le propre est d’ouvrir à une division prolongée de l’œuvre, au-delà du double et à partir du même, dont l’horizon est de laisser cours à un déploiement du film en un polyptique au terme incertain, potentiellement interminable.

Swann Rembert est doctorant à l’université Sorbonne-Nouvelle (ED Arts & Médias, IRCAV). Sa thèse porte sur l’œuvre de James Benning.

7 avril 2025 | Films historiques: deux temps, deux mouvements

Natacha Laurent, Ivan le Terrible de Serguei Eisenstein: un diptyque cinématographique au prisme de l'histoire, 1941-1958

Le dernier film de Serguei Eisenstein, Ivan Le Terrible (1945-1946), a toujours été appréhendé à travers une opposition radicale entre la première et la seconde partie. La première époque, encensée par le régime stalinien, met en scène un tsar solaire et charismatique tandis que la seconde, interdite par les autorités, dépeint la violence d'un autocrate sanguinaire. L'étude de la genèse du film permet de revenir sur le processus qui a abouti à la création d'un diptyque qui pourrait être qualifié d'oxymorique.

Natacha Laurent est maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Toulouse Jean-Jaurès et directrice adjointe de Framespa (UMR 5136). Historienne du cinéma russe et soviétique, ancienne déléguée générale de la Cinémathèque de Toulouse (2005-2015), elle s’intéresse plus particulièrement aux relations entre politique et cinéma ainsi qu’aux phénomènes de circulation, au niveau international, des films, de leurs supports et des représentations qu’ils véhiculent. Elle est l'auteure notamment de L’Œil du Kremlin. Cinéma et censure en URSS sous Staline (2000), Le Cinéma stalinien (2003), Kinojudaica. Les représentations des Juifs dans le cinéma russe et scientifique (2012), et de Raymond Borde, une autre histoire du cinéma (2022). Elle est membre du comité éditorial et scientifique du festival « L'Histoire à venir » depuis 2016 et co-anime le séminaire « Histoire et imaginaires sociaux. Dialogues Pierre Laborie » depuis 2021.

Gaspard Delon, Batailles en regard

Le historical epic hollywoodien a communément recours à deux batailles massives placées en miroir au sein du récit, permettant d'en structurer la progression, de concentrer les enjeux et d'imprimer un fort contraste. Ancrés dans des époques différentes, Braveheart (1995), Saving Private Ryan (1998) et Alexandre (2004) reposent sur ce même procédé, au point que la mémoire spectatorielle tende à y réduire les films tout entiers.

Plus marqué encore par la logique du diptyque, un autre mode de composition s'affirme lorsque les événements guerriers sont repris d'un film dans celui qui le complète, soit qu'on change de point de vue (Mémoires de nos pères ; Lettres d'Iwo Jima, 2006), soit qu'on décrive des affrontements enchâssant les premiers (300, 2007 ; 300: La Naissance d'un empire, 2014). La franchise 300 permettra d'observer les dynamiques d'extension, de réflexion et de décentrement (vers les Perses, mais aussi vers des Athéniens culturellement opposés aux Spartiates) permettant à la suite de faire face au film d'origine.

Gaspard Delon est MCF en études cinématographiques à Université Paris Cité et membre du CERILAC (https://u-paris.fr/cerilac/teams/delon-gaspard/). Ses recherches portent sur le film à gros budget depuis les origines, en particulier dans le cadre du genre historique et des représentations de la guerre. Il a récemment dirigé, avec Joana Baretto et Pauline Lafille: Vivre la bataille ? Expérience et participation dans les arts. XVe-XXIe siècle (PUR, 2023).

16 juin 2025 | Joy Division: formes et enjeux du diptyque interne     

Mathias Lavin, Répéter pour mieux voir (et entendre) ? Le film-diptyque entre mémoire et oubli

Dans S/Z, Roland Barthes écrivait que la relecture « sauve le texte de la répétition (ceux qui négligent de relire s’obligent à lire partout la même histoire) ». Passant de la littérature au cinéma, on voudrait considérer certains films qui, de manière explicite par une construction en diptyque, inscrivent la répétition en leur sein, imposant une relecture en cours de vision – et après celle-ci, de manière rétrospective. Il s’agira d’analyser certaines variations d’ordre narratif et formel tout en les reliant à des effets liés à la mémoire et à l’oubli produits par de tels films. Le corpus servant à la réflexion pourra notamment être composé des titres suivants: Une sale histoire (J. Eustache, 1977), Syndromes and a Century (A. Weerasethakul, 2007), Un jour avec, un jour sans (Hong Sang-soo, 2015) et La France contre les robots (J.-M. Straub, 2022).

 Mathias Lavin est professeur en Études cinématographiques à l’Université Paris 1.

Livio Belloï, Diviser pour mieux régner. Sur Abigail Child, Ken Jacobs et quelques autres

Dans le cadre de mon intervention, je prendrai pour objet le motif de l’écran divisé tel qu’il est mis en œuvre par certains cinéastes expérimentaux contemporains. En l'occurrence, je m’attacherai à distinguer deux grands types de configuration. Pour ce qui est des formes stables, l’écran se trouve divisé dans sa hauteur en deux portions de dimension égale ; il accueille en son sein deux images placées côte à côte, qui restent à la place qui leur a été assignée, tout en cultivant, dans leur interaction, divers effets de réflexivité (A. Child, K. Jacobs, B. Morrison).

Quant aux formes instables, elles s’investissent d'autres enjeux dans la mesure où elles ne mobilisent la forme-diptyque que pour mieux la remettre en question: soit que deux images entrent en conflit l’une avec l’autre pour se frayer un accès à l’écran (P. Tscherkassky) ; soit que la division de l’écran s’avère seulement intermittente (S. Fruhauf).

Livio Belloï est chercheur qualifié au Fonds National de la Recherche Scientifique et Professeur associé à l'Université de Liège. Ses recherches portent sur les arts visuels, envisagés dans une double perspective historique et esthétique. Dernier ouvrage en date: L'Image pour enjeu. Essais sur le cinéma expérimental contemporain (2021).

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