De ville en ville : Retracer les circulations et réseaux urbains au prisme des mobilités féminines
Appel à communications pour le colloque “De ville en ville : Retracer les circulations et réseaux urbains au prisme des mobilités féminines”, 20-21 novembre 2025, Université Gustave Eiffel
Date limite d’envoi des propositions : 2 juin 2025
Comité d’organisation : Claire Delahaye, Marta Francia, Philippe Gambette, Mathilde Larrère, Mari Oiry-Varacca, Caroline Trotot
Conseil scientifique : Chadia Arab (Université d’Angers), Charlotte de Castelnau-L’Estoile (Sorbonne Université), Amandine Chapuis (Université Gustave Eiffel), Nicole Dufournaud (Université Gustave Eiffel), Fatima Gebrati (Université Cadi Ayyad, Marrakech), Joanne Le Bars (Université Gustave Eiffel), Marylène Lieber (Université de Genève), Claire Pelgrims (Université libre de Bruxelles), Maria Tamboukou (University of East London), Eliane Viennot (Professeure émérite à l’université Jean-Monnet-Saint-Étienne).
Ce colloque pluridisciplinaire se propose d’étudier les traces des circulations urbaines des femmes et des réseaux dans lesquels elles s’inscrivent, à diverses époques et dans diverses aires géographiques, selon une approche multiscalaire prenant en compte les dynamiques locales (à l’échelle d’une rue, d’un quartier, d’une ville et de ses espaces périurbains), ou bien celles entre diverses villes, à l’échelle régionale, nationale, ou transnationale[1].
Depuis plusieurs années, des travaux scientifiques ont montré que les femmes ont bien joué un rôle décisif dans tous les domaines de la fabrique des villes comme espaces, systèmes politiques, économiques et culturels[2], qu’elles ont ainsi été des forces majeures d’innovation et de transformation dans tous les champs. Ces travaux ont ainsi révélé que l’idéologie des sphères séparées, qui affirmait que les femmes devaient rester cantonnées à des espaces domestiques ou hors de l’espace public, était avant tout prescriptive, et que les expériences des femmes étaient bien plus complexes[3]. Or comme le notent Danielle van den Heuven et al., les sciences sociales telles que la planification urbaine, la sociologie et la géographie ont fait de la mobilité urbaine quotidienne et de l’usage de la rue des éléments centraux de la compréhension des sociétés urbaines[4]. L’étude de ces pratiques éclaire des enjeux tels que le dynamisme urbain, les schémas reliés au travail et au loisir, mais également les questions d’égalité sociale et de genre[5] et leurs dimensions intersectionnelles[6].
De plus, les villes ne sont pas des systèmes clos mais les nœuds de réseaux qui les relient à leur environnement comme aux autres villes[7]. Les circulations intra et extra-urbaines sont connectées et elles font des villes des systèmes d’échanges depuis l’Antiquité. Or, là encore, les femmes effectuent de longue date de multiples déplacements contraints ou désirés et elles participent à la fabrique des réseaux de circulation dans toute leur variété. Ces phénomènes restent cependant minorés, ce qui alimente les stéréotypes assignant les femmes à certains espaces, invite à perpétuer les inégalités de genre et empêche une connaissance juste de la réalité urbaine en diachronie et en synchronie.
Ce colloque cherche ainsi à mettre en lumière les façons dont les mobilités féminines contribuent à dessiner les villes et les pratiques urbaines, en étudiant les déplacements des femmes dans divers contextes historiques et géographiques, leur rôle dans les circulations de biens, d’idées, d’œuvres, de savoirs et de personnes et les facteurs influençant la mobilité urbaine genrée[8].
Pour explorer ce phénomène, le colloque se concentrera tout particulièrement sur la question des réseaux, qui permet de représenter la complexité des relations et de révéler les dynamiques d’organisation hiérarchisée des espaces, des personnes et des biens, entre subordination et rivalité, au sein d’un territoire spécifique. Les contacts et interactions, croisements, nœuds, exercent une influence sur les systèmes urbains qu’ils viennent renforcer ou recomposer.
Il s’agit par ailleurs de décloisonner les approches pour réfléchir aussi bien aux mobilités et circulations concrètes qu’à leurs représentations ainsi qu’aux liens entre les deux, dont Michel de Certeau a montré la dimension interactive dans L’Invention du Quotidien[9]. Au-delà de la marche conçue comme une pratique et une métaphore épistémologique par Michel de Certeau, les notions de mobilité et de circulation invitent ainsi à considérer aussi bien les déplacements humains que les échanges et flux qu’ils favorisent, constituant des réseaux dans lesquels les femmes ont pu jouer des rôles déterminants. La mise en réseau des représentations et des pratiques permet aussi d’interroger les normes sociales, les problématiques de surveillance et de contrôle des déplacements, examinant ainsi les dynamiques de pouvoir et ce que ces mobilités signifient pour les femmes[10]. Les représentations des circulations urbaines créées par les femmes elles-mêmes sont ainsi particulièrement intéressantes, comme en témoignent les exemplaires pérégrinations citadines de Virginia Woolf[11] ou périurbaines du Journal du dehors d’Annie Ernaux[12]. La fabrique de mobilités féministes dans les contextes de manifestations politiques ou de promenades du matrimoine constitue également un champ privilégié.
La réflexion méthodologique sur la manière d’étudier ces champs insuffisamment défrichés, comme la réflexion épistémologique sur l’effet transformant des études menées au prisme du genre auront également toute leur place. À cet égard les humanités numériques proposent des espaces virtuels permettant de reconstruire et de faire apparaître les réseaux en interaction avec les espaces réels qui invitent à la réflexion.
Les propositions de communications de 20-25 min pourront concerner des champs variés à l’image de ceux couverts par les chercheurs et chercheuses de divers pays réunis dans le projet « Cité des dames 2 » (littérature et histoire du Moyen Âge au contemporain, géographie, études des civilisations des aires anglophones et hispanophones, spécialistes des arts, et enfin informatique) et viseront à faire dialoguer les approches. Elles porteront sur des études de cas précis, ancrés dans des époques et des territoires particuliers, du Moyen Âge à nos jours.
Les propositions d’intervention, qui pourront être présentées en français ou en anglais, pourront porter sur les axes suivants :
– les formes variées de mobilité : intra-urbaines ou de ville en ville, voyages aux motifs divers (religieux, commerciaux, touristiques, diplomatiques, artistiques, politiques) aussi bien que des exils ou des migrations, voire des déportations ;
– modalités de circulation des idées, des personnes et des biens, les réseaux révélés par les mobilités des femmes et les circulations qu’elles favorisent ; à ce titre, les études sur les circulations de textes et de lettres entre des villes et à propos des villes auront toute leur place ;
– les lieux concrets reliés par les déplacements et fréquentés par les femmes, les modalités des déplacements, les aspects matériels de différentes sortes permettant de faire apparaître la réalité de la participation des femmes aux échanges commerciaux, intellectuels, politiques ou artistiques ;
– la contribution des femmes aux enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels des espaces urbains, à la construction des savoirs ;
– les dynamiques de pouvoir sous-jacentes aux mobilités et circulations ou produites par elles ;
– la représentation et la réception des mobilités féminines ;
– les diverses sources qui peuvent être mobilisées afin de restituer et exposer les mobilités féminines urbaines et les circulations qu’elles produisent ;
– les traces matérielles et immatérielles laissées sur le territoire par les femmes en déplacement (idées, savoirs, objets etc.) ;
– la conservation la valorisation, l’interprétation des traces ;
– l’usage des humanités numériques pour représenter les déplacements et les réseaux révélés par ces mouvements feront l’objet d’un intérêt spécifique.
[1] Pour une réflexion sur la notion de trace dans l’épistémologie, voir Carlo Ginzburg, Mythes, emblèmes traces, trad. M. Aymard et Ch. Paoloni, E. Bonan et M. Sancini-Vignet, revue par Martin Rueff, « Traces, racines d’un paradigme indiciaire », p. 218-294, Lagrasse, Verdier, 2010 [1989] ; Joseph Morsel, « Traces ? Quelles traces ? Réflexions pour une histoire non passéiste », Revue historique, 2016/4 n° 680, 2016, p. 813-868. CAIRN.INFO, http://shs.cairn.info/revue-historique-2016-4-page-813 ; Joël Candau, « Traces singuliéres, traces partagées ? », Socio-anthropologie [En ligne], 12 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2004, consulté le 19 février 2025. https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.149.
[2] Voir par exemple Nicole Dufournaud and Bernard Michon, « Les femmes et le commerce maritime à Nantes (1660-1740) : un rôle largement méconnu », Clio [Online], 23 | 2006, https://doi.org/10.4000/clio.1926 ; Nicole Dufournaud and Bernard Michon, Femmes et négoces dans les ports européens, fin du Moyen Âge-XIXe siècle, Bruxelles etc., Peter Lang, 2018 ; Romain Facchini, « Femmes et circulations marchandes à Marseille au XVIIIe siècle », in Chaînes et maillons du commerce, édité par Gilbert Buti, Olivier Raveux, et Anne Montenach, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2023. https://doi.org/10.4000/books.pup.66676 (cet article montre l’expertise des femmes dans le négoce et leur rôle dans le processus de croissance économique urbaine) ; Les Parisiennes : des femmes dans la ville (Moyen Âge-XVIIIe siècle), Jeanne Chiron, Nathalie Grande, Ramona Herz-Gazeau, Julie Pilorget et Julie Piront (dir.), Arras, Artois Presses Université, 2020.
[3] Voir Rebecca Rogers, « Le sexe de l’espace : réflexions sur l’histoire des femmes aux xviie et xixe siècles dans quelques travaux américains, anglais et français », in Les espaces de l’historien, édité par Jean-Claude Waquet, Odile Goerg, et Rebecca Rogers, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2000. https://doi.org/10.4000/books.pus.8025.
[4] Heuvel, Danielle van den, Bob Pierik, Bébio Vieira Amaro, et Ivan Kisjes. « Capturing Gendered Mobility and Street Use in the Historical City: A New Methodological Approach ». Cultural and Social History 17, 4 (2020). p. 515–536. https://doi.org/10.1080/14780038.2020.1796239.
[5]Ibid. et Jacqueline Coutras, « La mobilité des femmes au quotidien : Un enjeu des rapports sociaux de sexes ? », Les Annales de la recherche urbaine, N° 59-60, 1993. Mobilités. p. 163-170.
[6] Alessandrin, Arnaud et Dagorn, Johanna. Femmes et déplacements : différents contextes, différentes expériences ? Dynamiques régionales, N° 12(3), 2021, p. 63-82. https://shs.cairn.info/revue-dynamiques-regionales-2021-3-page-63.
[7]Voir par exemple Olivier Mongin, La condition urbaine, la ville à l’heure de la mondialisation, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points, 2005.
[8] Heuvel, Danielle et alii, article cité.
[9] Michel de Certeau, L’Invention du Quotidien, t. I, Arts de faire, Gallimard, coll. Folio, 1990, Chapitre VII. Marches dans la ville.
[10] En effet, comme le notent Danielle van den Heuvel et al., art. cité, si les mobilités des femmes sont souvent vues comme signifiant davantage de liberté, elles peuvent aussi indiquer l’indigence ou le désespoir.
[11] Virginia Woolf, Un lieu à soi, trad. Marie Darrieussecq, Paris, Gallimard, coll. Folio, 2020.
[12] Annie Ernaux, Journal du dehors, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1995 [1993].
Bibliographie
Alessandrin, Arnaud, et Johanna Dagorn. « Femmes et déplacements : différents contextes, différentes expériences ? ». Dynamiques régionales, 2021/3 N° 12, 2021. p. 63-82. https://shs.cairn.info/revue-dynamiques-regionales-2021-3-page-63.
Carbonnier, Youri, Stéphane Curveiller, et Laurent Warlouzet, éd. Mobilités et déplacement des femmes. Arras : Artois Presses Université, 2019. https://doi.org/10.4000/books.apu.1783.
Cardelli, Rébecca. « Les déplacements des femmes dans l’espace public : ressources et stratégies ». Dynamiques régionales, 2021/3 N° 12 (2021). p. 102-121. https://shs.cairn.info/revue-dynamiques-regionales-2021-3-page-102.
Certeau, Michel de, L’Invention du Quotidien, t. I Arts de faire, Gallimard, coll. « Folio », 1990.
Coutras, Jacqueline. « La mobilité des femmes au quotidien : Un enjeu des rapports sociaux de sexe ? ». Les Annales de la Recherche Urbaine, 59-60, (1993), p. 163-170.
Denèfle, Sylvette, éd. Femmes et villes. Tours : Presses universitaires François-Rabelais, 2004. https://doi.org/10.4000/books.pufr.333.
Ernaux, Annie, Journal du dehors, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1995 [1993].
Facchini, Romain. « Femmes et circulations marchandes à Marseille au xviiie siècle ». In Chaînes et maillons du commerce, édité par Gilbert Buti, Olivier Raveux, et Anne Montenach. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, 2023. https://doi.org/10.4000/books.pup.66676.
Heuvel, Danielle van den. « Gender in the Streets of the Premodern City ». Journal of Urban History, 45, no. 4 (2019), p. 693-710.
Heuvel, Danielle van den, Bob Pierik, Bébio Vieira Amaro, et Ivan Kisjes. « Capturing Gendered Mobility and Street Use in the Historical City : A New Methodological Approach ». Cultural and Social History 17, 4 (2020). p. 515-536. http://doi.org/10.1080/14780038.2020.1796239.
Mongin, Olivier, La condition urbaine, la ville à l’heure de la mondialisation, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 2005.
Morsel, Joseph. « Traces ? Quelles traces ? Réflexions pour une histoire non passéiste ». Revue historique, 2016/4 n° 680 (2016). p. 813-868. http://shs.cairn.info/revue-historique-2016-4-page-813.
Rogers, Rebecca. « Le sexe de l’espace : réflexions sur l’histoire des femmes aux xviie et xixe siècles dans quelques travaux américains, anglais et français ». In Les espaces de l’historien, édité par Jean-Claude Waquet, Odile Goerg, et Rebecca Rogers. Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 2000. https://doi.org/10.4000/books.pus.8025.
Tyszler, Elsa, Shira Havkin, Sarah Bachellerie, Bechir Ben Mohamed, Najeh Kebaier. « Approches féministes & queer de la circulation ». In : Atlas des migrations dans le monde Libertés de circulation, frontières et inégalités. Paris : Armand Colin, 2022. Hors collection, p. 134-135. https://shs-cairn-info.acces.bibl.ulaval.ca/atlas-des-migrations-dans-le-monde–9782200632823-page-134?lang=fr.
Woolf, Virginia, Un lieu à soi, trad. Marie Darrieussecq, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2020.